Raouf Affagnon révèle
les dessous de la grogne
Prévus pour démarrer
depuis le lundi dernier, les travaux de correction des copies du baccalauréat ont
été bloqués et pour cause. Un groupe d’enseignants exige le retrait des
inspecteurs, conseillers pédagogiques et professeurs certifiés retraités. Une
revendication qui a suscité une rencontre entre partenaires sociaux, ministre
de l’Enseignement supérieur, directeur de l’Office du baccalauréat et quelques
superviseurs. La rencontre a débouché sur le démarrage effectif des
corrections, ce jour. Pour mieux cerner le différend générationnel entre
enseignants, Raouf Affagnon, membre de la Conetra-Bac, nous livre son point de
vue.
Quel
est le problème qui se pose, aujourd’hui, au sujet de la correction des copies
du Bac ?
Le problème qui se pose
sur le démarrage des travaux de correction du baccalauréat est lié à la revendication d’un
groupe d’enseignants dirigé par Thierry Dovonou et Flavien Gankpé. Ils étaient
dans un débat à la télévision au cours duquel, ils ont montré de long en large
qu’ils ne veulent plus voir les enseignants retraités dans les centres de
correction. Car, ils font ombrage à leur développement professionnel et à leur promotion.
Ils étouffent leur droit de participer à des activités de formation. C’est ce
problème qui a été soulevé et qui a entrainé le blocage auquel nous avons
assisté lundi dernier ; étant donné
qu’ils ont menacé de bloquer le démarrage des travaux, si le ministre de
l’Enseignement supérieur ne choisissait pas de les écouter et de donner une
suite favorable à leur revendication.
Le ministre de
l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique ayant suivi avec
attention leur déclaration, a provoqué une rencontre avec les partenaires sociaux, le lundi matin. Rencontre
élargie au directeur de l’Office du baccalauréat et quelques superviseurs des
centres de correction. Au cours de cette rencontre, la question a été remise
sur le tapis et les plaignants ont eu à rappeler les griefs qu’ils ont contre
les enseignants retraités. L’occasion a été donnée à des groupes organisés
comme celui auquel, j’appartiens qui est la Conetra-Bac et les organisations
syndicales de l’enseignement supérieur, de montrer au ministre que le problème est
mal posé, et si nous ne savons pas faire
en le réglant, nous allons créer plus de problèmes que nous n’en aurons
résolus.
C’est là que nous avons
montré que, c’est vrai du point de vue de la législation du travail, celui qui
est admis à faire valoir ses droits à la retraite est en situation de cessation
des activités professionnelles. Contrairement, à ce que nos collègues croient,
M. Dovonou s’est déplacé avec un dictionnaire du collégien alors qu’il n’est pas recommandé pour un professeur. Le
professeur ne doit pas travailler avec le dictionnaire du collégien, ni celui
du lycéen. Il doit travailler avec le
grand dictionnaire. Là, je suis convaincu qu’il aura une définition plus
complète.
« Celui
qui cherche la formation continue dans les centres de correction, se trompe de
chemin»
Aujourd’hui, celui
qui a perdu son statut de fonctionnaire
peut devenir contractuel partout dans le monde. Le phénomène de la
contractualisation est mondial. La contractualisation existe aussi, dans le
secteur privé comme dans le public. L’essentiel est d’avoir encore de
l’énergie, de la force physique et intellectuelle et des compétences à vendre.
Dieu sait qu’il y a des gens, après avoir servi 30 ans, sont encore aptes à
servir 30 autres années.
Nous avons montré au
ministre qu’il y a quelque chose de malsain, dans la revendication de nos
collègues. Ils n’ont pas cherché à attaquer ces retraités au début de l’année, lorsqu’ils
ont commencé à préparer les candidats pour le Bac 2013. Il y en a qui sont dans
les établissements, des gens qui ont
servi, en qualité de professeur certifié simple, conseiller pédagogique jusqu’à
la retraite et qui ont continué à servir leur institution.
Le nombre d’inspecteurs
que nous avons au Bénin est largement inférieur au besoin réel. Ceux qui sont
en activité ne peuvent pas couvrir les besoins de l’ensemble des professeurs
que nous avons. Si, on vous sort le ratio inspecteur-professeurs, vous allez
constater que les inspecteurs vont mourir à la tâche.
Est-il
nécessaire d’associer les enseignants à la retraite aux travaux du Bac ?
Je dois préciser
qu’aujourd’hui, un rapport sur la question enseignante commandité par l’Unesco
a récemment montré que pour renverser la tendance des échecs massifs aux examens, le Bénin doit recruter 2 500
enseignants par an pendant trois années d’affilées. En faisant une enquête, aujourd’hui, on ne
peut recruter que 500 enseignants qualifiés à l’enseignement secondaire. Il y
aura encore un gap. Ce gap ne peut même pas être comblé, si l’on prenait tous
les retraités qui sont encore aptes à travailler.
L’implication des
enseignants, conseillers pédagogiques et professeurs certifiés retraités dans les travaux des examens est
indispensable. C’est une décision incontournable. Si, et seulement si, nous
voulons continuer à capitaliser les expériences accumulées par ces gens ainsi que
les compétences qu’ils ont accumulées durant toute leur carrière. Ce sont des
données qu’on ne peut pas retrouver du jour au lendemain, chez les jeunes.
Je vous avoue
qu’aujourd’hui, c’est le phénomène du doctorat qui se distribue comme de petits
pains qui fait monter la tête aux jeunes. Tout le monde veut devenir docteur,
c’est à croire que le titre enrichi le titulaire. Le Bénin, aujourd’hui, est en
train de sombrer dans l’imposture. J’ai suivi à la télé, un reportage sur une
soutenance de thèse à l’Université d’Abomey-Calavi. Un professeur de
l’enseignement secondaire a soutenu une thèse qui a porté sur l’étude des
programmes en exécution dans les établissements d’enseignement secondaire.
L’université n’est pas un cadre approprié pour les études pédagogiques, mais un
cadre approprié pour les études académiques.
Vous pouvez faire une
thèse de doctorat sur la littérature béninoise, française, chinoise et
anglaise. Il n’y a aucun spécialiste des questions de pédagogie, de didactique
à l’Université d’Abomey-Calavi.
Avec ces doctorats, nos
amis les jeunes pensent qu’ils sont devenus le nombril de la terre. Ce qui leur
monte à la tête. Ils croient qu’ils sont les plus intelligents et les plus
cultivés de la terre. C’est ce qui, entre autres, les pousse à jouer à tout ce
à quoi nous assistons aujourd’hui. Et, c’est triste.
A
l’origine de ce différend entre jeunes et retraités, n’y-a-t-il pas un problème
d’argent ?
En dehors du facteur
que je viens d’évoquer, il y a les petites querelles de personnes. Il y a la
recherche du gain facile. Il y a dans nos rangs, des ainées qui les ont marqués
négativement et qui ont tenu des propos durs à leur encontre. Ainsi, ils ont
juré qu’ils vont leur rendre la monnaie de leur pièce. Que partout où ils se
trouvent, ils vont les combattre. Rien qu’à cause d’une simple déclaration,
d’une décision à laquelle la personne a
participé et qui ne leur a pas été favorable. Ils ont juré qu’ils vont avoir
leur peau.
Le lundi, lorsque nous
avons commencé à appliquer la décision que le ministre a prise, à savoir qu’il
faut nettoyer toutes les listes en sortant tous les retraités, nous nous sommes rendu compte que nos amis,
qui étaient porteur de la revendication, à des moments données, étaient prêts à
protéger certains retraités et prêts à
livrer d’autres. Ceux qui sont ciblés, il faut leur couper la tête sans pitié.
Mais, ceux qui sont leurs proches, ils étaient prêts à les protéger. C’est là
que nous avons été intraitables.
Nous avons dis que la
loi est la loi, même si elle est dure. Le principe établi doit être valable
pour tout le monde.
Au
regard de tout ce qui précède, le démarrage des travaux des corrections, aura-il
lieu ce jour ?
C’est une question piège
à laquelle je répondrais oui et non. Les corrections vont commencer ce jour, si
d’aventure, les menaces que nous avons subies à travers la déclaration du
Collectif du syndicat des inspecteurs ne venaient pas à être mises à exécution.
Ce qui suppose que le ministre doit réagir très rapidement pour prendre langue
avec les inspecteurs et rechercher avec eux un terrain d’entente parce qu’ils
sont un maillon incontournable de l’activité d’évaluation. Ils sont en amont et
en aval du processus enseignement-apprentissage-évaluation. Si on les met hors
du système ou s’ils décident d’en sortir, la machine sera bloquée.
Si, par miracle, le
ministre trouvait les voies et moyens d’une entente avec eux, les corrections
peuvent démarrer aujourd’hui. Mais, si le ministre ne faisait rien et
qu’eux-mêmes ne trouvaient pas les formules pour faire le contraire de ce
qu’ils ont dit dans leurs déclarations, le démarrage sera bloqué à nouveau. Ce
faisant, nous retournerons à la table des négociations parce que la masse du
départ de conseillers pédagogiques, de professeurs certifiés que nous avons
observée avec le nettoyage des listes, constitue un manque à gagner énorme pour notre système d’évaluation. Nous
allons perdre beaucoup en expérience, en compétence et en qualité. Ce qui aura
un impact négatif sur les résultats.
J’ai entendu nos jeunes
collègues dirent que les retraités les empêchent de venir bénéficier de leur
formation continue. C’est un non-sens. On ne vient pas à la correction pour
recevoir une formation. On vient à la correction parce qu’on a les compétences requises.
C’est la preuve qu’ils ne savent même pas, ce qu’on appelle évaluation ainsi
que ses pratiques pour juger de la qualité des productions de nos apprenants. Ils
pensent que c’est le moment pour être formé. Ce qui veut dire qu’ils sont conscients
que leur formation initiale est ratée. La formation continue pour les
enseignants se déroule dans les établissements, dans le cadre du
déroulement des activités des conseils d’animation pédagogique. C’est dans ce
cadre qu’on a la formation continue et le complément d’information nécessaire
pour le renforcement de la formation initiale. Celui qui cherche la formation
continue dans les centres de correction, se trompe de chemin. Ce sont des hommes
et des femmes qui viennent massacrer les
copies. Il faut les éloigner de nos établissements.
Ils ont chassé les
professeurs à la retraite pour occuper leurs postes pour tenir le bic vert
alors qu’ils n’ont pas les compétences. Ils sont à la recherche du gain facile.
La République ne doit pas les autoriser à aller dans ce sens, sans quoi, c’est
la mort de la jeunesse scolaire.